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La Rose dans la vallée
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20 juillet 2015

Ce que la réunification allemande nous enseigne sur la crise grecque actuelle

Après la chute du mur, le gouvernement Kohl, dont le ministre de l’Intérieur n’est autre que Wolfgang Schäuble, va créer la Treuhand, une société qui doit organiser la privatisation de l’économie de l’ex-RDA.

Après la chute du mur, le gouvernement Kohl, dont le ministre de l’Intérieur n’est autre que Wolfgang Schäuble, va créer la Treuhand, une société qui doit organiser la privatisation de l’économie de l’ex-RDA. Franke, Klaus. Bundesarchiv

Au cours des négociations sur la crise grecque et européenne, l’Allemagne a adopté une position particulièrement dure. Dans un document de travail récemment révélé par le député vert Sven Giegold, le ministre des Finances Wolfgang Schäuble propose le « transfert d’actifs grecs pour un montant de 50 milliards d’euros à un fonds externe » basé au Luxembourg.

Cette société serait chargée de privatiser ces actifs, échappant ainsi à l’influence du gouvernement de gauche d’Alexis Tsipras. L’idée de Wolfgang Schäuble reprend largement les méthodes mises en œuvre lors de la réunification allemande. L’histoire de la société Treuhand, son échec et les scandales qui l’entourent, montrent que les négociations actuelles sont menées, en dépit du bon sens, pour des raisons largement idéologiques.

Capitulation économique

Le 9 novembre 1989, la chute du mur de Berlin ouvre la voie à la réunification allemande. Se pose alors une question fondamentale : comment adapter l’ensemble du système productif de la République démocratique allemande, communiste, à l’économie de marché ? Les milieux économiques de l’ouest veulent une privatisation massive et rapide. Soutenus par le chancelier conservateur Helmuth Kohl, ils vont obtenir « une capitulation économique de la RDA sans condition ».

Les milieux économiques de l’ouest veulent une privatisation massive et rapide

L’enjeu est de taille : l’ex-RDA est un marché potentiel de 16 millions d’habitants, au cœur de l’Europe, dont la main-d’œuvre est qualifiée. Les entreprises, la propriété foncière et l’ensemble des activités économiques appartiennent à l’Etat, et donc en théorie aux citoyens. Le problème central est le manque absolu de capitaux pour moderniser un appareil productif inefficace.

« Ruée vers l’or »

A l’ouest, les entreprises accumulent les excédents commerciaux. Dans ces conditions, l’illusion d’une réunification entre égaux va rapidement laisser place à une véritable « ruée vers l’or », selon l’expression du journaliste Dirk Laabs. Industries, banques, lobbyistes et ambitieux se ruent vers l’Est en l’absence de tout cadre légal. Impuissant, un député social-démocrate ne peut que constater : « premier arrivé, premier servi, une course contre la montre s’est engagée ».

La Treuhand doit organiser la privatisation de l’économie de l’ex-RDA

Le gouvernement Kohl, dont le ministre de l’Intérieur n’est autre que Wolfgang Schäuble, va alors créer la Treuhand. Cette société doit organiser la privatisation de l’économie de l’ex-RDA et – en théorie – redistribuer les bénéfices aux habitants. A sa tête, des managers de l’ouest, souvent peu expérimentés. Pétris d’une croyance naïve dans les vertus du libéralisme, ils célèbrent la « destruction créatrice » chère à Schumpeter.

Kohl, en pleine campagne électorale, promet que le libéralisme va rétablir l’économie de l’Est en quelques années. Fin tacticien, il propose une parité entre les deux monnaies. Un mark de l’ouest contre un mark de l’est. Les économistes jugent qu’un mark-ouest vaut en réalité six marks de l’est.

Désillusions

Les élections passées, les citoyens déchantent rapidement : les salaires de l’est ne correspondent absolument pas à la productivité de l’économie. Or il est désormais impossible de dévaluer, ou d’exercer le moindre contrôle sur la politique monétaire pour relancer l’économie. En quelques mois, le chômage atteint les 20 % et l’activité économique menace de s’arrêter complètement.

Ménager les « retraités bavarois »

Les parallèles avec la situation grecque actuelle sont frappants. Un projet d’unification politique, louable d’un point de vue théorique, sert dans la pratique à imposer les recettes économiques les plus orthodoxes. L’adoption d’une monnaie commune, le Deutsche Mark hier et l’euro aujourd’hui, va se révéler inadaptée pour des économies peu compétitives.

Aujourd’hui comme hier, les rapports de force sont déséquilibrés en faveur du gouvernement conservateur allemand. Il faut ménager les désormais célèbres « retraités bavarois », sommés de payer pour leurs voisins de l’est ou pour les « Grecs avides ». L’agenda politique européen est déterminé par des considérations de politique nationale. La création d’une société soi-disant indépendante doit garantir que les dettes seront remboursées. Mais l’histoire de la réunification allemande montre ici que l’ultra-libéralisme, loin d’être synonyme d’efficacité, alourdit en fin de compte la facture des Etats.

Des supermarchés aux banques, c’est un pays entier qui est vendu pour une bouchée de pain

En 1990, la société Treuhand n’a ni le personnel, ni l’autorité pour réagir face à l’urgence. Les cas de corruptions se multiplient, et le gouvernement Kohl détourne les yeux. La Treuhand n’a de comptes à rendre ni au Parlement, ni à la population. De toute façon, les grandes entreprises de l’ouest ont déjà commencé à se partager le gâteau. Des supermarchés aux hôtels, de la propriété foncière aux banques, c’est un pays entier qui est vendu pour une bouchée de pain.

Chantage

Cependant, les nouveaux propriétaires veulent plus. Souvent en situation de cartels ou de monopoles, ils licencient massivement et font du chantage à l’Etat, demandant des subventions pour investir. Un directeur de la Treuhand expliquera plus tard qu’« aucune grande banque allemande n’a risqué le moindre mark. Tout était garanti par l’Etat, par l’ensemble des citoyens ». Un autre note dans son journal : « Personne ne se gêne, et personne n’a de scrupules à dévaliser les caisses de l’Etat, car c’est bien de cela qu’il s’agit. »

C’est aussi l’Etat qui va financer la mise à niveau de l’appareil productif, et fermer les entreprises les moins rentables, celles qui n’ont pas trouvé de repreneurs. Le chômage s’envole tandis que les salaires diminuent. Pour restaurer la compétitivité, et puisqu’il est impossible de dévaluer, on rallonge les horaires de travail.

Cercle vicieux

Pour l’Allemagne, c’est le début d’un cercle vicieux : vingt ans de « modération salariale ». De nombreuses entreprises utilisent la réunification pour renégocier les conditions de travail à l’ouest du pays en menaçant de délocaliser à l’est ! Le périmètre de l’Etat-providence est réduit au nom de la lutte contre le chômage.

En fin de compte, ce sont les citoyens qui ont supporté le poids de la réunification. La faillite de la Treuhand et de son idéologie de la « thérapie de choc » est patente. En 1995, elle disparaît en laissant une montagne de dettes à l’Allemagne réunifiée. Les privatisations déjà effectuées en Grèce ont été réalisées à la hâte et sans concertation politique. Le nouveau projet des créanciers, tout aussi idéologique, n’aura sans doute pas plus de succès. Une fois de plus, ce sont les Etats européens et en particulier les citoyens grecs qui régleront l’addition.

Thomas Morel est historien des sciences, chercheur invité à l'Université Technique de Berlin.

 

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